dimanche 7 novembre 2010

José Tourneur - Maître Cuisinier

José Tourneur est un Maître Cuisinier. J'emploie sciemment des majuscules sinon comment pourrais-je le distinguer? Il fait partie de ces "génies" de la cuisine ayant un coeur grand comme ça...
Avec plus de 55 ans de cuisine à son actif il est membre honoraire du cercle très restreint des plus anciens chefs belges toujours en activité. A ma connaissance seul le tout aussi sympathique Bernard Bouillot de la Clef des Champs peut se targuer, comme lui, d'une telle carrière au service de la gastronomie.

Le Chef José Tourneur

Liégeois d'origine (Huy plus exactement), José Tourneur a mené une vie d'une richesse incroyable.
Il commença sa carrière à Liège, à l'hôtel de la Couronne comme second, puis au Casino de Namur.

Restaurant Silver Grill - Bruxelles
Ensuite on put le suivre au Palace (Place Rogier à Bruxelles), puis au Silver Grill "Chez Bernard" (rue des Augustins à Bruxelles) où se retrouvaient tous les VIP à l'époque.


Peu après, il fut employé durant les heures de gloire du Carlton  (3 étoiles Michelin à l'époque). C'est là qu'il obtint son 1er prix de cuisine Prosper Montagné. C'est aux mêmes fourneaux qu'on retrouva un certain Alain Passart quelques années plus tard...

Après le Carlton, on retrouve José Tourneur à la tête d'une équipe de 24 cuisiniers dans le restaurant "Finistère" à l'Innovation. C'était un restaurant gastronomique reconnu, mais il y avait aussi un self-service et un service traiteur. Il finit par être le superviseur des chefs des 12 magasins "Innovation" de l'époque. C'était à l'époque du tristement célèbre incendie qui ravagea le célèbre magasin et fit plus de 300 victimes. Il réussit à échapper aux flamme in extremis...

José Tourneur refusa aussi un pont en or offert par un groupe financier (dans lequel le King Elvis avait investi) actif dans la restauration aux Etats Unis.
Ce fut finalement un ami qui partit. Ce dernier jouit  vraisemblablement toujours aujourd'hui d'une carrière dorée au pays de l'oncle Sam.

La cuisine de José Tourneur est toujours colorée de ses nombreuses expériences. Toutes ses sauces ont par exemple toujours été de véritables sauces minutes. Elles font souvent la différence aux 3 Couleurs, son établissement depuis 1978.

José Tourneur est un personnage généreux qui a consacré toute sa vie au service de la gastronomie.
Depuis quelques années, il se consacre aussi à transmettre son savoir avec l'espoir qu'un de ses protégés reprenne le flambeau. 
Ses employés fidèles sont considérés comme ses enfants. Ceux-ci participent bien entendu au succès et à la renommée de l'établissement. Le service en salle est parfaitement huilé et Laurent Van de Poel, le chef de salle à l'humour tellement british en est le maître d'oeuvre. En cuisine, c'est  le chef, Bruno Hummel, qui nous apporte du bonheur depuis 20 ans aux côtés de José Tourneur. 


Les cuisines des 3 Couleurs

Ce côté paternel du chef est perceptible et le rend encore plus sympathique. J'aime le personnage et, lorsqu'il m'expliqua il y a quelques mois qu'il désespérait de remettre un jour l'établissement vu qu'aucun de ses protégés ne semblait prêt à relever le défi de la continuité, j'avoue avoir eu du mal à comprendre...

Les 3 Couleurs tournent bien. L'établissement dispose d'une clientèle fidèle qui ne raterait les nouveaux menus mensuels pour rien au monde.

C'est vrai qu'aujourd'hui, il n'est pas toujours aisé de trouver du personnel compétent, motivé et prêt à pratiquer des horaires atypiques. Pas facile pour un forcené du bel ouvrage, un des derniers Mohicans qui reconnaît et pratique le côté noble du travail alors que ce mot est tellement dévalorisé aujourd'hui; pas facile il est vrai d'accepter alors qu'un jeune débutant de 18 ans vienne vous dicter ses conditions salariales et ses horaires adaptés pour pouvoir sortir le samedi soir...

S'il n'y avait que ça... Mi 2010, en plein service, José Tourneur et son équipe ont du faire face à une descente de fonctionnaires accompagnés de policiers! Ceux-ci ont exigé de regrouper tout le personnel sans se soucier d'une telle interruption de service qui foutait en l'air la soirée des clients. Dans un restaurant qui pratique une gastronomie de qualité, on ne peut se permettre une interruption de cuisson d'un quart d'heure. Bien sûr on n'eut rien à reprocher à Monsieur Tourneur. Après plus de 30 ans de gestion irréprochable de son établissement comment en aurait-il pu être autrement?
Résultat des courses, un service bâclé et un éventuel candidat repreneur écoeuré et dégoûté à tout jamais de se lancer comme capitaine d'un bateau attaqué par des pirates légaux...

Les passionnés de cuisine qui veulent faire profiter les autres de leur savoir sont aujourd'hui envahis de tracasseries administratives de plus en plus lourdes qui les empêchent de se concentrer sur leur métier.
Autre soucis souvent entendu auprès des professionnels: comment faire pour continuer à offrir une bonne cuisine, des produits de qualité à un prix raisonnable si on ne peut même pas disposer d'un minimum de souplesse dans la gestion du personnel horeca qui pratique forcément des horaires particuliers? 
En Belgique, pour payer un employé 100 €, il faut débourser 200 €, près du double comparé à d'autre pays!!

Si vous connaissez un ministre ou un parlementaire, envoyez-lui ce billet. Peut-être pourra-t-il faire un peu réfléchir sur la nécessité de préserver nos établissements gastronomiques comme patrimoine culturel (ou immatériel) de l'humanité.
Les établissement qui continuent à offrir le meilleur du terroir et de la gastronomie font partie du fondement de notre identité culturelle.

Mise à jour 16 novembre 2010: "Aux dernières nouvelles, il y aurait un peu d'espoir en ce sens, puisque le repas gastronomique français vient d'être inscrit au patrimoine immatériel de l'Humanité par un comité intergouvernemental de l'Unesco". Plus d'infos sur le blog de Bernard Dubrulle et sur le Monde.

En 2010, on arrive à stopper des chantiers pour préserver une fleur rare, on détourne le tracé d'une route pour sauvegarder une espèce animale en voie de disparition. 
Tout cela est très bien et la comparaison n'est probablement pas tout à fait opportune mais je me dis toutefois qu'on devrait aussi arriver à ce que nos dirigeants puissent trouver des solutions pour aider ces portes-drapeaux de notre culture gastronomique à préserver ce patrimoine porteur de richesse. 
En effet, aujourd'hui, bon nombre de personnes se déplacent pour manger dans un endroit valable et en profitent pour visiter la région. Il existe donc un tourisme basé sur la gastronomie et moteur du développement économique d'une région et d'un pays.

Si José Tourneur devait prendre sa pension sans avoir pu transmettre le flambeau, ce serait un gâchis sans nom... Les représentants de l'Etat et le coût du personnel en Belgique n'y seraient malheureusement pas étrangers...
Qui aura le courage politique d'enfin valoriser les initiatives constructives et le bel ouvrage? Je crains toutefois que ce ne soit pas là la préoccupation première de nos élites politiques et qu'une attitude courageuse allant dans ce sens n'étant probablement pas génératrice de voix électorales elle ne risque pas d'arriver de sitôt.

Mais je m'égare car l'objectif premier de ce billet était de vous présenter un grand Monsieur qui a consacré sa vie aux autres, au service du beau et du bon...
Allez lui rendre visite au plus vite, vous aurez probablement la chance de le voir se pointer avec sa toque et son air débonnaire. Félicitez-le. Encouragez-le... On gagnera peut-être encore quelques mois...

José Tourneur


Plus d'infos sur le restaurant Les Trois Couleurs


1 commentaire:

  1. Un grand chef discret. Une adresse incontournable. Merci pour ce beau portrait.
    Alain

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